Une nouvelle technique capture chaque torsion de lumière polarisée

© EPFL/iStock (Tetiana Lazunova)

© EPFL/iStock (Tetiana Lazunova)

Des scientifiques de l’EPFL ont mis au point une nouvelle technique qui permet aux chercheuses et chercheurs d’observer, avec une sensibilité sans précédent, comment les matériaux émettent de la lumière polarisée au fil du temps.

La lumière n’est pas seulement vive ou tamisée, colorée ou blanche. Ses ondes peuvent aussi se tordre et tourner, dans un phénomène appelé polarisation. Pensez aux lunettes que vous portez lors d’un film en 3D, qui utilisent la polarisation de la lumière pour faire voir à chaque œil une image légèrement différente, créant ainsi l’illusion de la profondeur.

La polarisation est essentielle pour les technologies futures, des ordinateurs quantiques aux communications sécurisées, en passant par les écrans holographiques. De nombreux matériaux émettent de la lumière de manière à encoder des informations dans sa polarisation, comme si on utilisait la direction des ondes de lumière pour envoyer un message. Parmi ces phénomènes, on trouve la luminescence à polarisation circulaire (CPL), un type particulier d’émission lumineuse produite par des matériaux chiraux, où les ondes lumineuses se déplacent en spirale à gauche ou à droite.

Surmonter les limites des techniques traditionnelles

Pour débloquer de nouvelles applications, les chercheuses et chercheurs doivent observer exactement comment cette polarisation évolue au fil du temps. Mais jusqu’à présent, les scientifiques ont dû faire des compromis parce que les méthodes existantes imposent de choisir entre vitesse, sensibilité ou large gamme de couleurs.

Les techniques de CPL standard sont souvent lentes, étroitement focalisées ou incapables de capter de faibles signaux, en particulier lors de l’étude de matériaux avancés avec des effets de polarisation fugaces ou subtils. Ces limites ont ralenti les recherches en matière de compréhension de l’interaction des matériaux chiraux avec la lumière.

Aujourd’hui, une équipe dirigée par le professeur Sascha Feldmann du Laboratoire des matériaux pour l’énergie de l’EPFL a mis au point une technique de spectroscopie haute sensibilité, à large bande et à résolution temporelle qui capture l’ensemble complet des états de polarisation (le «vecteur de Stokes»).

Représentation du vecteur de Stokes. Crédit : S. Feldmann (EPFL)
Représentation du vecteur de Stokes. Crédit : Marcel Mattes (EPFL)

Cette nouvelle technique le fait sur une large fenêtre spectrale (400-900 nanomètres) et à des intervalles de temps allant de quelques nanosecondes à plusieurs millisecondes, le tout avec un plancher sonore aussi faible que le dix-millième de l’intensité de la lumière polarisée émise par un matériau. Elle capture également les signaux de polarisation linéaire et circulaire en même temps, ce qui aide à identifier et à corriger les artefacts de polarisation qui font souvent échouer d’autres méthodes.

Un instrument de pointe

L’équipe a conçu l’instrument avec des composants simples et disponibles sur le marché, ce qui permet de l’adopter à grande échelle. Elle partage les schémas optiques complets et un recueil de sources d’erreurs «non évidentes» pour ouvrir le champ à d’autres.

Les scientifiques ont utilisé une caméra électronique et un ensemble d’optiques de polarisation soigneusement conçus pour enregistrer l’intégralité du vecteur de Stokes en temps réel, en suivant les changements dans l’émission lumineuse de différents types de molécules présentant à la fois une forte luminescence polarisée et une faible luminescence polarisée. En enregistrant l’empreinte complète de polarisation, la nouvelle configuration peut révéler des détails que d’autres approches ne voient pas.

La nouvelle approche a réussi à capturer les changements de polarisation dans des matériaux qui n’avaient jamais été suivis avec autant de détails auparavant. Elle a reproduit des résultats de référence pour des molécules bien étudiées, et elle a révélé une dynamique inédite dans des émetteurs organiques et des systèmes complexes où l’émission de lumière se produit à des échelles de temps rapides et lentes.

La technique a également révélé de subtils artefacts de polarisation – des faux signaux que les mesures traditionnelles confondent souvent avec des effets réels – permettant aux chercheuses et chercheurs d’éviter les pièges courants.

En combinant une sensibilité élevée, une large couverture spectrale et une résolution temporelle en nanosecondes, la technique ouvre une fenêtre sans précédent sur le domaine de la dynamique de polarisation à l’état excité et de la rupture de symétrie. Les scientifiques peuvent maintenant observer ces processus en temps réel, ce qui accélère la conception et le développement d’émetteurs chiraux, de matériaux quantiques et de dispositifs optoélectroniques de pointe.

L’équipe a également rendu publics ses plans et ses algorithmes d’automatisation dans le but de démocratiser le domaine et d’accélérer les découvertes dans le monde entier.

Financement

Institut Rowland (Harvard)

Studienstiftung des Deutschen Volkes

EPFL

École doctorale 2MIB de l'Université Paris-Saclay

Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Références

Antti-Pekka M. Reponen, Marcel Mattes, Zachary A. VanOrman, Lilian Estaque, Grégory Pieters, Sascha Feldmann. Broadband transient full-Stokes luminescence spectroscopy. Nature 25 juin 2025. DOI: 10.1038/s41586-025-09197-3


Auteur: Nik Papageorgiou

Source: EPFL

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