Recomposer des ruines pour préserver notre patrimoine
Les 6 et 7 juillet 2019, quelque 120 étudiants en architecture, dont des étudiants de l’EPFL, se sont réunis sur le Monte Luzzone au Tessin. Ils ont travaillé à la recomposition de ruines d’un hameau pour préserver une trace d’un patrimoine alpin en phase de disparition.
Autrefois, le petit hameau de Luzzone, perché à 2150 mètres d’altitude dans la vallée de Malvaglia au Tessin, accueillait quelques paysans et leur bétail. Laissées à l’abandon depuis les années 50, les constructions n’étaient plus que ruines. Mais ce week-end, des étudiants en architecture ont fait revivre le lieu: les quelque 120 participants au workshop réunis dans le hameau abandonné ont travaillé à la recomposition des ruines.
Sur la dizaine d’éléments que compte le hameau de Luzzone, une seule construction est encore utilisée aujourd’hui et une autre est en train de s’écrouler. Les six autres ne sont que ruines. «Ces bâtiments utilitaires construits essentiellement en pierre sont caractéristiques du riche patrimoine bâti alpin et tessinois en particulier, explique Patrick Giromini, architecte, assistant-doctorant au Laboratoire des arts pour les sciences (LAPIS) à l’EPFL et co-organisateur du workshop. Elles ne mesurent que quatre mètres sur quatre environ et servaient autrefois d’étable et de refuge aux gardiens de bétail durant la belle saison.»
Recomposition plutôt que reconstruction
Sur les ruines, les murs se sont écroulés pour former des amas de pierres. Le travail de recomposition effectué durant le workshop a consisté à redéfinir le tracé des murs. Les pierres disséminées à l’extérieur de ce périmètre ont été ramenées à l’intérieur et certains murs ont été reconstruits. Le cumulus de pierre ainsi obtenu a permis de redonner un volume aux constructions. Les bâtiments n’ont donc pas été reconstruits, mais recomposés, dans une démarche à forte composante artistique.
L’architecte tessinois diplômé de l’EPFL Martino Pedrozzi est l’initiateur de ce projet. Depuis plus de vingt ans, il travaille à ce type de recomposition. «Que faut-il faire avec ce patrimoine rural que l’on retrouve dans toutes les Alpes, et pas seulement au Tessin ?», interroge le professeur invité à l'Académie d'architecture de Mendrisio de l'Université de la Suisse italienne. «Ces ruines de bâtiments n’ont aujourd’hui presque plus aucune fonction, et vu leur localisation, presque aucune utilisation possible. Avec la recomposition, je propose de leur redonner une fonction de point de repère dans le paysage. Une fonction qu’ils avaient déjà à l’époque, mais qu’ils ont perdue», poursuit-il.
Il s’agit donc d’un travail touchant à la préservation du patrimoine, la prise de conscience de la disparition de la matière et la nécessité de la mémoire. «L’intervention des étudiants fait également écho aux corvées auxquelles devaient s’astreindre les paysans de l’époque. Chaque été, ils réparaient les dégâts causés par la neige», rappelle Patrick Giromini.
Un succès inattendu
Fait rare, les participants provenaient de trois filières d’architecture helvétique: l'Académie d'architecture de Mendrisio de l'Université de la Suisse italienne, la Section d’architecture de l’EPFL et l'Institut d'architecture paysagère de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). Il s’agit en effet du premier workshop d’architecture organisé en commun par les trois institutions. La commune de Serravalle (TI), sur laquelle se situent les ruines, a également soutenu l’événement.
«Lorsque nous avons ouvert les inscriptions, nous nous attendions à avoir une trentaine de personnes intéressées, une dizaine de chaque école. Mais finalement, nous nous sommes retrouvés à 120. C’était un succès inespéré !» se réjouit Nicola Braghieri, responsable de la section d’architecture de l’EPFL.
Aventure humaine
Ce workshop a donc également été pour ses participants l’occasion unique d’échanger avec des étudiants venus d’horizons bien différents. De Mendrisio, Lausanne et Zurich, ils se sont d’abord réunis au pied du Monte Luzzone avant d’effectuer une marche d’une heure et demie qui les a menés jusqu’aux ruines. Après le travail de recomposition, les étudiants ont passé la nuit sur place, sous tente.
«Un workshop est toujours une expérience unique, affirme Agathe Loeb, une des participantes, étudiante en master d’architecture à l’EPFL. On rencontre des gens de nationalités et d’écoles différentes de la nôtre, qui ont des manières différentes de concevoir l’architecture. Échanger avec eux peut être très intéressant. J’aime participer à ce genre d’événement. Ça m’ouvre l’esprit, me permet d’aller au-delà du cadre habituel.» Nul doute que les conditions de vie rudimentaire et le dur travail physique demandé leur a permis de vivre une véritable aventure humaine.
Si ce travail de recomposition s’est concentré sur les constructions en pierre du Tessin, il pourrait être reconduit avec tout type de constructions alpines. «Dans mon laboratoire, cela fait cinq ans que nous nous occupons des alpages et des mayens en Valais notamment, indique Nicola Braghieri, responsable du Laboratoire des arts pour les sciences de l’EPFL. On ne pourrait pas y appliquer exactement le même concept puisque dans ces cas-là, il reste beaucoup de bois en plus des pierres. Mais ce serait très intéressant d’y réfléchir.»