La géographie au secours des pendulaires

L'arc lémanique est en pleine croissance démographique et économique, comme ne manquent pas de le remarquer les pendulaires qui prennent la route ou le train chaque jour. L'Office fédéral des routes (Ofrou) table sur une hausse de 30% de trafic en plus d'ici 2030. Quelles sont les solutions? Interview de Pierre Dessemontet, géographe à l'EPFL.

Pierre Dessemontet a publié récemment un article dans la revue Urban Studies, avec Vincent Kaufmann et Christophe Jemelin, sur la dynamique des métropoles étudiées à travers leurs flux pendulaires. Car ce sont bien les pendulaires, en se déplaçant, qui donnent les vraies mesures des villes et de leurs banlieues.

Tout d'abord, qu'est-ce qu'une métropole?

Pierre Dessemontet - La métropole est la ville principale d'une région géographique qui orchestre le fonctionnement des activités économiques et culturelles d'un ensemble urbain qu'elle domine, organise et régule. La géographie urbaine en Suisse ne reconnaît que de manière récente cette notion de métropole, avec un centre et des banlieues qui sont interconnectées. Notre objectif est de donner la mesure de ces métropoles et d'en comprendre la dynamique. Ainsi, Genève ne peut pas se penser sans la France voisine avec laquelle elle forme un tout. De même, le Tessin doit s’étudier avec Milan - Chiasso n'est qu'à 60 kilomètres. Nous nous sommes rendu compte que les pendulaires, à travers leurs déplacements en train ou en voiture, permettent d’établir comment villes et banlieues sont reliées. Les pendulaires de la région Nyon-Morges qui sont pris dans les bouchons ou debout dans les trains matérialisent le problème et démontrent que ces ensembles sont liés et ne peuvent plus être considérés isolément.

Le rôle du géographe urbain est donc de donner à repenser les métropoles?

Pierre Dessemontet - Nos travaux permettent de prendre la nouvelle dimension des villes, de donner à voir leur nouveau visage, d'adapter notre point de vue à une réalité qui se transforme beaucoup plus vite que les opinions que nous nous sommes forgées à leur sujet. La Suisse est en pleine croissance, et si nous ne parvenons pas à nous adapter à cette évolution, nous ne pourrons pas prendre les mesures qui s'imposent, en particulier en ce qui concerne les transports. Par exemple, entre Genève et Lausanne, nous constatons que l'ossature routière est bonne, mais que la chair autour de ce squelette est insuffisante. Le réseau secondaire n'est pas assez développé comme peut s'en rendre compte un usager de la région de Morges qui mettra parfois autant de temps à rejoindre l'entrée de l'autoroute que de temps passé sur l'autoroute lui-même. Pour faire face et réagir, il faut absolument prendre conscience que la Suisse se métropolise, qu’elle n'est plus une république alpine, ni un grand ensemble à fusionner. La mission du géographe est de mettre en lumière ces développements et de proposer des solutions adaptées.

Vous prédisez pas moins de 10 millions d'habitants en Suisse en 2050?

Pierre Dessemontet - Oui, c'est fortement probable, car nous tablons déjà sur 9 millions d'habitants en 2035. Notre message est un message de croissance: "Regardez, nous grandissons!". Les relations entre les villes et les banlieues s'intensifient, donc n'attendons pas. Et veillons à ne pas devenir comme la Californie par exemple, qui n'a pas suivi son développement et qui, derrière l'image de la Silicon Valley et des plages idyllique, cache un réseau de transports catastrophique. Nous remarquons que la crise des années 70 a durablement refroidi les politiciens qui n'osent plus trop s'avancer sur ce terrain. Mais les signes sont là, la croissance est réelle. On prévoit 30% de trafic en plus sur l’arc lémanique en 2030.

Si on reprend la situation de l'arc lémanique, on se demande quelles sont les solutions?

Pierre Dessemontet - Il n'y a là rien de fatal, pour autant que nous prenions en compte la croissance démographique, et que nous nous y adaptions. A cet égard, Zürich est exemplaire et reconnue comme la ville ayant le meilleur système de transports publics au monde. Il est possible d'habiter dans une banlieue et de travailler dans une autre banlieue sans avoir besoin de prendre sa voiture. Et faisons remarquer que les Zürichois n'ont pas attendu les subsides de la Confédération pour améliorer leurs infrastructures. C'est un canton riche qui a pu réaliser ces travaux et demander les subventions ensuite. Ce qui serait tout à fait envisageable sur l’arc lémanique si Genève et Lausanne réalisaient ce projet ensemble. Réunis, ils ont à peu près le même bassin de population que le canton de Zürich. Mais ce n'est que récemment que nous considérons la relation entre Genève et Lausanne comme deux centres bipolaires. La première solution que peut donc proposer le géographe, c’est de fournir les explications nécessaires afin que les mentalités puissent s’adapter.


Auteur: Frédéric Rauss

Source: EPFL