La génétique environnementale au service de la protection des coraux

Récif corallien en Nouvelle-Calédonie. © 2020 Oliver Selmoni

Récif corallien en Nouvelle-Calédonie. © 2020 Oliver Selmoni

Le réchauffement climatique fait courir un grave danger aux récifs coralliens, très sensibles aux changements de température. Pourtant certains coraux semblent s’adapter. Au cours d’une étude en Nouvelle-Calédonie, des chercheurs de l’EPFL et de l’IRD ont combiné analyses environnementales et génétiques pour caractériser ce potentiel et permettre la mise en place de stratégies de conservation ciblées.

Les océans sont le thermomètre du changement climatique. En absorbant plus de 90% de l’énergie reçue par la planète, ils démontrent l’ampleur du réchauffement mondial qui met en péril les écosystèmes cruciaux à la biodiversité, comme les récifs coralliens. En 2016 et 2017, une hausse brutale de la température en surface dans l’Océan pacifique a provoqué un phénomène massif et sans précédent de blanchissement des coraux, notamment dans la grande barrière de corail au large de l’Australie.

Ce phénomène de dépérissement dû au stress thermique entraine la rupture de la symbiose entre le corail et une petite algue, présente dans ses tissus pour lui apporter nutriments et couleur. Si le phénomène de blanchissement persiste, le corail peut ne jamais s’en remettre. On constate ainsi depuis 20 ans l’apparition de sections blanches longues de plusieurs kilomètres en Australie, suite à des vagues anormales de chaleur.

Le blanchissement des coraux peut conduire à leur mort © 2020 Istock

Pourtant, certains récifs parviennent à résister à ces situations récurrentes de stress thermique. Oliver Selmoni a consacré sa thèse à l’EPFL à la caractérisation de ce potentiel d’adaptation grâce à la mise en place d’outils de génomique environnementale au Laboratoire des systèmes d’information géographique (LASIG). Il a combiné l’analyse environnementale permise par les capteurs de température embarqués sur des satellites, et les analyses génétiques (grâce à la collecte de coraux et le séquençage de leurs génomes) pour déterminer les facteurs de résistance.

Campagne menée de A à Z

Après une première application de cette technique avec des données préexistantes sur une espèce de corail du Japon, Oliver Selmoni s’est rendu en Nouvelle-Calédonie. En partenariat avec l’Institut de recherche pour le développement (IRD) de Nouméa, il a fait sa propre campagne d’échantillonnage et mené l’étude de A à Z. Ses résultats sont publiés le 12 novembre dans la revue Nature Scientific Reports.

Il y a en Nouvelle-Calédonie le deuxième récif barrière le plus long du monde. C’est plus de 1000 km de récif exposé à des contrastes environnementaux extrêmement marqués dans un espace relativement petit. C’est un bon endroit où se rendre pour étudier l’adaptation.

Oliver Selmoni

Deux hypothèses principales sur le potentiel d’adaptation des coraux ont guidé l’étude. La première est que la population doit avoir déjà fait l’expérience d’une température stressante au cours des années. « Plus les générations sont habituées à une hausse de température, plus il est probable d’observer la formation de caractéristiques génétiques permettant la survie. » La deuxième hypothèse, c’est la connectivité. Les populations de coraux se reproduisent grâce à des larves éjectées dans l’eau et transportées par les courants marins. « Il est important qu’un récif ne soit pas isolé. S’il est détruit par un stresseur environnemental ou lié à l’activité humaine, il lui faut de nouvelles recrues pour se repeupler. »

Créer des zone protégées

Oliver Selmoni a commencé par relever les données satellite des 30 dernières années pour évaluer la composition de l’environnement marin en Nouvelle-Calédonie. Il a ensuite sélectionné 20 sites avec les conditions de température les plus contrastées possible avant de se rendre sur le terrain pour faire des prélèvements en mer. « On s’est focalisé sur trois espèces emblématiques du Pacifique, assez sensibles au blanchissement et relativement faciles à trouver. On a fait 3000 km de voiture et 1000 km en bateau ! », se remémore le jeune chercheur, qui a relaté son expérience sur le terrain dans le blog EPFL out there.

Les outils de génétique environnementale du LASIG ont permis de quantifier la connectivité et la probabilité d’adaptation, validés par les observations sur le terrain. «On voit comme on s’y attendait que la probabilité d’adaptation est plus élevée là où le stress thermique a été le plus fort au cours des années. A contrario, on ne trouve pas de caractère adaptatif dans les zones qui n’ont pas encore subi de stress thermique.»

Fréquence d'alerte pour le blanchissement des coraux (carte du haut) et la probabilité d'adaptation des coraux aux vagues de chaleur (carte du bas) en Nouvele-Calédonie. © 2020 LASIG

Les cartes élaborées par cette étude peuvent permettre de créer des zones protégées de l’activité humaine comme la pêche, le tourisme et l’industrie là où les coraux semblent en mesure de résister aux futures vagues de chaleur et disposent d’une bonne connectivité pour s’étendre sur les récifs autour de la Nouvelle-Calédonie. Une autre application de ces résultats permettrait aussi d’identifier et utiliser ces coraux adaptés pour les élever et les transplanter sur les récifs à proximité qui en sont dépourvus, accélérant ainsi le processus de sélection naturelle. « Génération après génération, ils aideront à reconstruire le récif, ou à augmenter le potentiel adaptatif avant un phénomène de blanchissement », explique Oliver Selmoni.

Connecter la recherche et la gestion des aires marines protégées
Lancé en 2019 à Nouméa, le réseau international ManaCo réunit des scientifiques spécialistes des récifs coralliens et des gestionnaires d’aires marines protégées dans le Pacifique. Le but est de faciliter la communication entre ces deux mondes et faire un pont entre la recherche et sa mise en application, pour améliorer la protection des récifs. Des représentants de plusieurs pays, dont des États insulaires de la région, sont déjà membres du réseau. En post-doctorat au LASIG, Oliver Selmoni travaille désormais au développement d’outils donnant accès à des résultats facilement interprétables et utilisables pour la conservation. Il contribue ainsi à mettre en place un grand projet de génétique environnementale à l’échelle du Pacifique.

Financement

The authors thank the Réseau d’observation des récifs coralliens of New Caledonia for collecting and sharing the field survey data. They thank Annie Guillaume and the anonymous reviewers for the comments and suggestions provided during the redaction of this paper.

This work was supported by the United Nations Environment Programme (UNEP) and International Coral Reef Initiative (ICRI) coral reefs small grants programme (Grant Number: SSFA/18/MCE/005).

Th authors also thank the Government of France and the Government of the Principality of Monaco who provided the funding for the small grants.

Références

Coral cover surveys corroborate predictions on reef adaptive potential to thermal stress. 

Oliver Selmoni, Gaël Lecellier, Laurent Vigliola, Véronique Berteaux-Lecellier, Stéphane Joost

First published: 12 November 2020

https://www.nature.com/articles/s41598-020-76604-2