L'immigration internationale, entre clichés et compétition économique

La concurrence pour les profils hautement qualifiés est forte en Europe. © Mirsad Sarajlic / iStock

La concurrence pour les profils hautement qualifiés est forte en Europe. © Mirsad Sarajlic / iStock

Une étude menée entre l’EPFL et l’Université de Genève fait le portrait de l’immigration internationale de 1966 à nos jours. Comprendre ses mécanismes permettra d’assurer la stabilité de la croissance économique de la Suisse, indiquent ses auteurs.

Un homme de 33 ans sans enfants, hautement qualifié, en provenance d’un pays limitrophe et ne séjournant que quelques années en Suisse. Voilà à quoi ressemble aujourd’hui le profil socio-économique type de l’immigration en Suisse. Quelque 60% des immigrantes et immigrants entrant avec un permis B ou C disposent d’une formation universitaire. La part restante est moyennement à faiblement qualifiée et destinée à travailler dans des métiers de services (santé, social, restauration, construction, etc.). Quelque 5% de ces immigrants sont des réfugiées et réfugiés reconnus selon la Convention de Genève. Les requérants d’asile représentent en moyenne 10% du total des flux entrants, avec toutefois d’importantes fluctuations annuelles. Le statut de réfugié sera accordé à une partie d’entre elles et eux. Actuellement, 40% de la population vivant en Suisse est d’origine étrangère (1).

C’est ce qu’indique une étude de l’EPFL parue dans la revue International Migration et réalisée en collaboration avec l’Université de Genève (UNIGE). Son objectif: compiler des millions de données issus de recensements, du registre de population et du système d'information central sur la migration pour raconter, chiffres à l’appui, l’histoire de la migration internationale en Suisse de 1966 à nos jours.

«Nous sommes conscients que l’image du migrant hautement qualifié, arrivant sans enfants, aux références culturelles communes à celle de la population d’origine suisse et ne séjournant qu’une période limitée dans notre pays ne correspond pas à l’image qui prédomine parfois dans les discours sur l’immigration», commente Mathias Lerch, directeur du Laboratoire de démographie urbaine à l’EPFL. «Notre étude montre toutefois qu’il faut adapter nos représentations à la réalité. Il ne convient pas de rester dans l’imaginaire des années 1990. Celui-ci était marqué par des arrivées en provenance du monde entier, y compris d’importants flux d’asile issus des Balkans, et donc majoritairement musulmans, ainsi que beaucoup de regroupements familiaux, avec l’intention de s’établir durablement en Suisse.»

La moitié des profils hauts qualifiés repart après 5 à 10 ans, souvent avec une jeune famille.

Mathias Lerch, directeur du Laboratoire de démographie urbaine, EPFL

Mieux anticiper l’avenir

Pour le chercheur, cette adaptation des représentations à la réalité vise à mieux anticiper l’avenir. Car la concurrence pour ces profils hautement qualifiés est forte en Europe, leur nombre étant limité. L’enjeu est non seulement de continuer à les attirer en Suisse, afin de combler les besoins de main-d’œuvre et de ralentir le vieillissement de la population, mais surtout de les faire rester: «Notre étude montre que, si la majorité des migrantes et migrants arrivent en Suisse pour effectuer une formation ou relever un challenge professionnel, la moitié repart après 5 à 10 ans, souvent avec une jeune famille», explique Mathias Lerch.

Les raisons qui motivent ce retour sont multiples. Premièrement: le passage en Suisse peut être d’emblée défini comme un projet temporaire, permettant d’améliorer son profil sur le marché du travail. Ensuite, les opportunités économiques dans le pays d’origine jouent un rôle important. L’étude montre que plus le pays d’origine est développé, plus le taux de retour est élevé. Autre point: la conjointe ou le conjoint de ces profils hautement qualifiés peine souvent à s’épanouir professionnellement en Suisse en raison de difficultés rencontrées dans l’insertion sur le marché du travail. Enfin, les pays d’origine de ces travailleuses et travailleurs, à l’exemple du Portugal, de l’Espagne ou de la Lituanie, mettent eux-mêmes en place des incitations au retour, avec des baisses d’impôts et des soutiens à la création d’entreprise.

La Suisse devra bientôt aller chercher des profils hautement qualifiés dans de nouveaux bassins de recrutement.

Mathias Lerch, directeur du Laboratoire de démographie urbaine, EPFL

Nouveaux bassins de recrutement

En Suisse, les immigrantes et immigrants viennent combler un manque: aujourd’hui, un jeune sur deux obtient un diplôme de formation tertiaire, mais cela ne répond pas entièrement à la demande de profils hautement qualifés. Les besoins dans le secteur des services peu qualifiés augmentent également avec le vieillissement de la population et l’augmentation du nombre de profils hautement qualifiés qui ont eux-mêmes recours à des services de garde d’enfant, de ménage et de restauration. En outre, accompagner la croissance démographique nécessite une vision à long terme, afin de développer les infrastructures adaptées, ce qui nécessite également une main-d’œuvre ouvrière peu ou non qualifiée.

Ainsi, pour Mathias Lerch, la leçon à tirer de cette étude est la suivante: «Si la Suisse veut se doter d’une croissance économique stable, elle devra bientôt aller chercher des profils hautement qualifiés dans de nouveaux bassins de recrutement. Par exemple sur le continent asiatique ou africain, aux économies moins développées, mais dont les niveaux de formation augmentent rapidement chaque année. En parallèle, il convient également d’offrir des canaux légaux d’immigration pour le personnel nécessaire dans le secteur des services peu qualifiés.»

Agir en interne

Faut-il le rappeler? La situation de compétition internationale dans laquelle évolue la Suisse découle de son faible taux de fécondité. Pour Mathias Lerch, un levier d’action complémentaire à la migration pourrait aussi être imaginé dans ce cadre. Mettre en place des aides pratiques et financières pour les familles et agir sur les valeurs autour de la parentalité sont des réflexions à mener: «Les Suisses pensent qu’il faut attendre d’être installés, d’avoir une voiture, une maison et un bon salaire pour avoir un enfant, ce qui repousse ce projet à des âges de la vie de plus en plus élevés, auxquels il devient physiologiquement plus difficile de concevoir un enfant», détaille le démographe.

Crises et opportunités

Enfin, la dimension historique de cette recherche rappelle que la Suisse a souvent tiré son épingle du jeu en matière d’immigration grâce à l’attractivité de ses hauts salaires. Le non-renouvellement des contrats de travail des immigrants temporaires dans les années 1970 permettait d’atténuer la crise du pétrole, tandis que la mise en place des accords bilatéraux avec l’Union européenne au tournant du millénaire ou la crise économique de 2008 ont été l’occasion d’attirer des profils hautement qualifiés. Une immigration qui a contribué à transformer progressivement l’économie helvétique en une économie de technologie de pointe et de services spécialisés.

Financement

Conseil européen de la recherche

Références

Mathias Lerch, Philippe Wanner, “Rising international migration of the highly skilled transforms demographic and geographic patterns of flows in high-income countries – The case of Switzerland 1966-2019”, International Migration, 28 June 2025. DOI : https://doi.org/10.1111/imig.70057


Auteur: Sandrine Perroud

Source: EPFL