Epidémies: vers la fin des mesures de confinement?
Limiter les déplacements de la population lors d’une flambée épidémique ne serait pas toujours indiqué. Ce genre de mesures aurait un impact négatif sur la capacité d’une société à retrouver son fonctionnement normal, selon une étude de l’EPFL.
Lors de l’apparition d’un foyer épidémique de type H1N1, Zika ou SRAS, mettre en place des mesures de confinement paraît la solution la plus raisonnable. Une étude de l’EPFL bouscule pourtant cette idée en indiquant que ces mesures endommagent la résilience d’une société, soit sa capacité à retrouver rapidement une situation économique et sociale comparable à celle d’avant l’épidémie. L’étude parue dans Nature Scientific Reports coïncide avec une autre publication parue en décembre 2017 sur le même sujet dans Nature Physics, mais basée sur d’autres modèles mathématiques. Cette dernière a également comparé les avantages de mesures de confinement avec ceux de la non intervention et est parvenue à la même conclusion: empêcher les gens de voyager et les encourager à réduire leurs interactions sociales ne seraient pas toujours les meilleures décisions à adopter en cas de flambée épidémique.
«Dans ce domaine, réfléchir en termes de coûts et de bénéfices est assez récent», explique Emanuele Massaro, premier auteur de l’étude et post-doctorant au Laboratoire des relations humaines-environnementales dans les systèmes urbains (HERUS) de l’EPFL. «Auparavant, seule la limitation du nombre de personnes infectées prévalait. Les études s’intéressaient ainsi en priorité à la gravité de la maladie, à sa prévalence et à son impact sur la santé d'une population. C’est bien sûr la première étape, mais réfléchir en termes de coûts sur la société en cas de longue rupture de la mobilité et des services, de potentielle crise économique et de conflits sociaux entre désormais aussi dans la balance», indique le chercheur qui plaide pour la mise en place d’un nouveau cadre de réflexion dans le domaine.
Et les études allant dans ce sens ne manquent pas. Deux publications, l’une parue en 2014 sur le virus Ebola (Eurosurveillance) et, l’autre, en 2006 sur la transmission du virus de la grippe (Nature), ont montré que la fermeture des frontières n’avait fait que de retarder le pic épidémique de quelques semaines et n’avait pas été déterminante dans la réduction du nombre de personnes infectées.
Test sur des données réelles
Dans la présente étude, Emanuele Massaro a testé ses hypothèses sur des données réelles de mobilité, simulant avec un logiciel l’apparition et la propagation aux Etats-Unis d’une épidémie depuis la ville de New York. Le chercheur a également évalué l’impact du changement de comportement que des individus adopteraient librement en cas d’épidémie, comme éviter les espaces publics, limiter ses loisirs et travailler depuis chez soi, en lien avec des campagnes de préventions plus ou moins fortes. La prise en compte de ce facteur socio-économique est la nouveauté principale de l’étude: «C’est une variable souvent difficile à évaluer que nous avons quantifiée. Car les autorités doivent comprendre ce qu’elles risquent en terme de résilience du système en lançant des campagnes alarmistes dans les médias. Elles doivent donc connaître avant toute chose la gravité de la maladie avant de diffuser des messages invitant les gens à limiter leurs déplacements ou à changer leurs habitudes», explique Emanuele Massaro.
Les calculs ont ainsi montré que sans intervention politique, un pic de contaminations est atteint en un court laps de temps, mais que la société retrouve rapidement sa situation d’avant-crise. En limitant les déplacements, les autorités prennent plus de risques: «Des études préalables ont montré qu’il existe une valeur critique de déplacements qui empêchent la propagation d’une épidémie sur toute une population en la réduisant de 80 à 90%. Toutefois, nous avons observé que cette réduction de la mobilité impliquait une chute dramatique de la résilience du système car elle détériore le fonctionnement de base de la société sur une longue période», détaille Emanuele Massaro. Le chercheur s’est basé sur la définition de résilience de l’Académie des sciences nationales américaine pour ses modèles. Celle-ci considère la capacité d’un système à planifier, se préparer, absorber et s’adapter à une nouvelle situation.
Choix éthique
Les conclusions de l’étude de l’EPFL et de l’article paru dans Nature Physics sont donc plutôt contre-intuitives. Et mettent les preneurs de décisions devant un choix éthique: faut-il laisser dans un premier temps plus de personnes être infectées par une épidémie pour éviter un point de rupture dans le fonctionnement d’une ville ou d’un pays? La prochaine étape pour Emanuele Massaro sera d’appliquer ses modèles sur des cas antérieurs d’épidémies afin d’affiner ses conclusions. Le chercheur compte également travailler avec des acteurs du domaine, tels que des assureurs ou des responsables politiques, pour l’aider à intégrer dans ses modèles ce qui est important à leurs yeux. Pour lui, au bout du compte, l’éthique revient également au chercheur: «Les scientifiques doivent rester prudents dans ces études et garder l’être humain au centre de leurs préoccupations.»
Cette étude a reçu le soutien du Senseable City Lab, au Massachusetts Institute of Technology (MIT), du Centre de recherche et de développement de l’US Army Corps of Engineer et de la Northeastern University.